En réfléchissant sur les conditions concrètes de l’efficacité de la nouvelle évangélisation aujourd’hui, Karl Lehmann, évêque et théologien allemand, dit : « Nous avons désormais besoin des lieux, des groupes, des mouvements et des communautés qui rassembleront les personnes résolument portées par l’amour de la vie, où elles pourront apprendre et s’entraider. Fortifier la foi, l’espérance et la charité devient de plus en plus nécessaire aujourd’hui, où le christianisme se trouve dans la situation d’une diaspora. Ce n’est qu’ainsi que la foi peut redevenir reconnaissable et trouver un profil clair. » [7] Depuis presque deux décennies, Medjugorje est un tel lieu, où se rassemblent les gens du monde entier pour prier ensemble et pour approfondir leur foi ; ils se réunissent dans de nombreux groupes de prière, mouvements et formes de vie commune. Ce témoignage serait bien sûr plus fort et convaincant, si la situation dans l’Église locale en Herzégovine était autre, si cette Église n’était pas divisée. La situation dans laquelle elle se trouve provoque pour le moins la confusion. Par conséquent, certains sont prêts à remettre en question les événements de Medjugorje. Qu’il me soit permis d’exprimer à ce sujet mon appréciation personnelle, issue de l’expérience des dix-sept ans de Medjugorje, de la réflexion théologique et de la prière. Tout au long de ces années, je revenais sur les paroles de Jésus au sujet du glaive : « Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive. » (Mt 10,34) Le chemin vers la paix véritable passe par Jésus. Ce choix ne supporte aucun compromis : il est plus important que la famille, et surtout plus important que tous les intérêts particuliers. Sur le chemin de la paix véritable avec soi-même, avec les autres et avec Dieu, l’homme doit traverser de nombreuses épreuves que Jésus désigne métaphoriquement par le mot « glaive ». Cette parole de Jésus, ne concerne-t-elle pas également Medjugorje et sa place dans l’Église locale ? Medjugorje se trouve, en effet, dans une Église où était advenu, il y a de nombreuses années, le « cas d’Herzégovine » qui avait mis à rude épreuve l’unité et la charité de cette Église. Cette affaire a ébranlé l’unité et la charité entre l’évêque et ses prêtres d’une part, et les franciscains de l’autre, mais aussi à l’intérieur de la communauté franciscaine elle-même. Avant le début des apparitions, l’Église d’Herzégovine était donc désunie à plusieurs niveaux. Medjugorje n’était qu’une occasion de plus pour manifester cette désunion d’une manière d’autant plus douloureuse. Certains franciscains n’ont jamais mis le pied à Medjugorje, non parce que, après mûre réflexion, ils étaient convaincus qu’il n’y avait rien de surnaturel, mais tout simplement parce qu’ils y trouvaient des confrères avec lesquels ils avaient d’autres différends, essentiellement à propos du cas d’Herzégovine. Lorsque Mgr Žanić s’est tourné contre Medjugorje, ces mêmes franciscains, partageant la même position sur ce seul point, se sont joints à lui dans la condamnation et le rejet de Medjugorje. Ils n’ont pourtant pas fait bouger le cas d’Herzégovine du point mort : l’apogée de son absurdité est en train de se vivre actuellement à Čapljina.
N’est-ce pas le signe que l’Église d’Herzégovine ne veut plus de glaive, et que le temps de paix est venu ? Les franciscains établis à Čapljina contre la volonté de leurs supérieurs, et ceux qui les soutiennent, en appellent tous à la justice : en invoquant le droit, l’évêque commet l’injustice ! C’est leur principal argument, mais il est évident qu’il ne passe pas. Entre temps, l’unité et la charité de l’Église sont de plus en plus mis à l’épreuve, et la nature même de l’Église est remise en question. Quoi faire ? À celui qui prend l’Évangile vraiment au sérieux, lorsque toutes les possibilités sont épuisées, il reste une dernière, la plus difficile, celle sur laquelle repose toute la chrétienté : le sacrifice jusqu’au don de soi. Le sacrifice est toujours difficile, surtout lorsqu’il n’est pas reconnu dans toute sa dignité. Tel était le sacrifice du Christ, mais il a apporté le fruit suprême, celui de la Résurrection. Un grand nombre de franciscains, qui ont vécu avec Medjugorje tout au long de ces années, est prêt à ce sacrifice que la direction de la Province accepte. Pourtant, en raison de la complexité de la situation déjà décrite, il faudra beaucoup de sagesse de la part de tous les acteurs responsables dans l’Église, pour que tout soit fait pour favoriser la croissance de l’unité et de la charité dans l’Église d’Herzégovine, ce qui sera un puissant témoignage en faveur de Medjugorje dans le monde entier, et une grande contribution à la nouvelle évangélisation du monde, tellement nécessaire.
Dr. P. Ivan Dugandžić, OFM, 1998
Notes :
[1] M. Tigges, Geistliche Gemeinschaften une Bewegungen, dans : Praktisches Lexikon des Spiritualität, Herder Freiburg-Basel-Wien, 1992, p ; 473s
[2] Ibid, p. 474s
[3] Y. Congar, Der Heilige Geist, Herdder Freiburg-Basel-Wien, 1982, p 153
[4] Joachim Wanke, Neue Herausforderungen – Bleibende Aufgaben, Pastorale Akzente in postsozialistischer Zeit, Hildesheim 1995, p. 13
[5] Ibid, p. 17
[6] Bischofssynode, Sonderversammlung für Europa : Damit wir Zeugen christi sind, der une befreit hat, dans : Verlautbarungen des Apostolischen Stuhls 103, Bonn 1991, p. 12
[7] Karl Lehmann, Wass heisst Neu-Evangelisierung Europas ? dans : Internationale katholische Zeitschrift 4/92, p.317
Dr. P. Ivan Dugandžić, ofm, est prêtre franciscain, membre de la province franciscaine d’Herzégovine. Il est né en 1943 à Krehin Grac, commune de Čitluk, Herzégovine. Après le Bac à Dubrovnik obtenu en 1962, il entre dans l’Ordre franciscain. Il étudie la théologie à Sarajevo et à Königstein (Allemagne) et est ordonné prêtre en 1969. Il obtient la maîtrise et le doctorat en Sciences bibliques à Würzburg (Allemagne). Depuis 1990, il vit à Zagreb et enseigne l’exégèse du Nouveau Testament et la théologie biblique à la Faculté de Théologie catholique et dans ses Instituts. Il publie des articles théologiques dans les revues spécialisées et des articles sur les thèmes bibliques dans les revues catholiques. Il a séjourné à Medjugorje à deux reprises : de 1970 à 1972 et de 1985 à 1988.